Ni pompier, ni astronaute, le petit Hugo Verlomme savait très bien quoi répondre à son instituteur lorsque celui-ci lui demanda ce qu’il rêvait de faire, plus tard. «Écrire des livres et aller aux îles Marquises.» Hugo Verlomme fait partie de ces rares auteurs français à avoir consacré son œuvre à l’océan. Du journal de bord teinté de fiction avec Détour en 1976, à Cowabunga Surf Saga la même année, en passant par l’épopée sous-marine de Mermere et le roman d’anticipation apocalyptique L’Eau est là, Verlomme brasse les genres comme les vagues, bodysurfeur convaincu, toujours à l’eau à 67 ans, «un maillot suffit !». Écolo avant l’heure, il est cofondateur de Réseau-Cétacés dès 1989, et continue son action pédagogique auprès des plus jeunes en milieu scolaire. Depuis Capbreton, où il vit à trois cents mètres des plages, il met la tête sous l’eau de qui veut bien l’écouter lors des Journées du Gouf, un événement de culture scientifique ayant lieu tous les deux ans (prochain le 15 septembre 2019), célébrant le canyon sous-marin landais. Il se prend à rêver d’un «grand» institut océanographique, face au Gouf et aux beachbreaks qui l’ont vu grandir. Lui qui se veut aujourd’hui «davantage lanceur d’espoir que lanceur d’alerte» pose un regard plutôt mitigé sur l’implication du surfeur dans la défense de l’environnement, qui n’entame en rien un regard sur l’avenir teinté de volontarisme.

david bianic : Les archives de l’INA montrent un Hugo Verlomme très sombre lors de son passage en avril 1978 dans l’émission littéraire de Bernard Pivot, Apostrophes: «Heureusement que j’ai de l’espoir, sinon je me serais flingué, depuis longtemps, un petit peu en tout cas.» Cela ne ressemble pas à Verlomme – l’homme, l’auteur – que l’on connaît aujourd’hui…

hugo verlomme : J’avais besoin d’alerter les gens sur des choses qui paraissent aujourd’hui d’une banalité énorme mais qui à l’époque étaient disruptives. Je me souviens m’être disputé avec des gars de mon âge parce que j’étais antinucléaire. On passait pour des Don Quichotte. Avec ma femme, on vivait en Bretagne sur une toute petite île, Callot, d’où nous avons été chassés par la pollution de l’Amoco Cadiz, une des grandes catastrophes écologiques du vingtième siècle. On l’a prise en pleine face. Quand la marée du 21 mars 1978 est montée, c’était du pétrole, pas de l’eau.

db : Tu as débuté ta carrière dans une presse que l’on peut qualifier d’engagée avec Combat puis Le Quotidien de Paris, le premier étant né des mouvements de résistance lors de la Seconde Guerre mondiale. Tu étais engagé politiquement ?

hv : J’étais militant quand j’étais lycéen, j’appartenais même au Comité Vietnam de Base, dans les années précédant 1968. C’est ce qui nous a politisés: la guerre du Vietnam. Puis il y a eu Mai 68 et le Comité d’Action Lycéen. On avait Le petit livre rouge de Mao dans la poche, un bel objet marketing, sans savoir que Mao avait fait tuer des millions et des millions de personnes ! J’ai débuté par les faits divers dans un journal de droite, L’Aurore. J’y ai appris le journalisme, le vrai, sur le terrain, mais j’ai vu aussi comment la presse pouvait être biaisée. Puis je suis passé chez Combat, l’inverse politiquement, et je suis resté quelques années aux côtés de Philippe Tesson, qui a été mon mentor en matière de presse.

db : C’est avec ton premier «vrai » roman, Mermere, que tu connais le succès public et critique, auréolé du Prix Fiction 1978. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le manga culte Nausicaä de Hayao Miyazaki, sauf que Mermere le précède de quatre années, paru en 1978. Sorti trop tôt ?

hv : Cela fait un peu prétentieux, mais j’ai été pionnier dans plusieurs domaines, ne serait-ce que le surf, puisque Cowabunga date de 1976. Et quand tu es pionnier, c’est une situation foireuse: tu arrives trop tôt pour faire un succès, puis d’autres s’inspirent de ce que tu as fait – ce qui est normal – et ils font un tabac parce que c’est le bon moment. Ce fut sans doute le drame de Jacques Mayol, d’avoir inspiré tout ça [Le Grand Bleu], et de ne pas en faire partie. Mermere, Le Guide des voyages en cargo, L’Homme des vagues, autant de livres pionniers. Aujourd’hui leur temps arrive, car l’océan est partout. Le temps de l’océan est enfin venu.

db : Parallèlement à un Mermere au message sous-jacent très engagé, tu sors à la même époque Cowabunga, le premier ouvrage consacré au surf en France. Comment les deux cohabitaient-ils en toi ?

hv : J’ai récemment retrouvé ma carte de la Fédération Française de Surf qui date de 1965, numéro 111 ! J’en suis plutôt fier, même si par la suite, je n’ai plus fait de surf, mais du planky et du bodysurf. Je ferais mieux de me remettre au surf, car pratiquer le bodysurf de nos jours est devenu dangereux: je ne regarde plus les vagues, je regarde les planches autour de moi. De plus en plus chaque année… En bodysurf on est tellement exposé… Bref, Cowabunga montrait l’état des lieux du surf en France en 1976. On avait passé une partie de l’été avec un copain photographe à faire des photos, car il n’existait pas grand-chose. Mon plaisir, c’était de défricher et ça l’est toujours.

db : Il y a quelques numéros, cette rubrique Interview donnait la parole à un grand nom de la littérature surf, Don Winslow (SJ 127). Il illustre bien la propension du genre à verser dans le polar. Ce n’est pas ton choix. Le surf fait-il un bon matériau d’écriture ?

hv : Le surf n’est pas très passionnant pour les non-surfeurs, d’une part. Et les surfeurs ne forment pas un public de lecteurs, je suis désolé de le dire. Tout le monde a un peu lu Kem Nunn, Don Winslow éventuellement, ou encore William Finnegan, car ce sont des auteurs qui peuvent écrire sur ce qu’ils veulent, ils resteront de grands écrivains. Comme disait Céline, «les idées, rien n’est plus vulgaire». Le sujet, on s’en fout au final. Tu peux faire un livre hors du commun avec un simple Voyage autour de ma chambre, tel Xavier de Maistre, ou raconter des aventures incroyables chez les Pygmées et ça va être soporifique. Le surf dans la fiction est souvent contre-productif, à moins d’être un auteur de talent.

db : Ce n’est pas la première fois que Mermere fait l’objet d’une tentative d’adaptation au cinéma. Cette fois, c’est la bonne ?

hv : Oui, Mermere renaît. Des personnes travaillent sur un projet de film d’animation, d’autres, aux États-Unis, sur un long-métrage, mais dans le cinéma tout prend énormément de temps. La grosse nouvelle, c’est que le livre Mermere va enfin être réédité début 2020 par les éditions ActuSF. Mais pour le film, je souhaite poser les arcanes, les grandes bases, partir de quelques grandes scènes et reconstruire l’histoire autour, et non pas vouloir adapter à la lettre, sinon ça devient Avatar. Par le passé, un scénario avait été écrit dans ce sens et on se retrouvait dans des petits sous-marins à se tirer dessus à coups de lasers, comme dans Aquaman… Ce n’est pas ma philosophie. Mais aujourd’hui on accepte beaucoup mieux des notions comme le chamanisme ou la médiumnité. Nous possédons des mythologies de la forêt, avec les elfes, les trolls, Tolkien, etc., mais on n’a pas de mythologie sous-marine. Je te mets au défi de m’en citer une ?

db : L’Atlantide ?

hv : Oui… Les Atlantes nous parlent d’un temps où les humains étaient encore amphibies, et maintenant nous le redevenons. Dans les années 1960, on trouvait bien peu d’apnéistes capables de plonger à plus de cinquante mètres, ni de surfeurs chevauchant des vagues de plus de dix mètres, et encore moins de navigateurs ayant accompli un tour du monde à la voile en solitaire… Avec Jacques Mayol pour l’apnée, Laird Hamilton pour les grosses vagues, ou Bernard Moitessier pour la voile, une nouvelle ère s’est ouverte. Au vingt-et-unième siècle, on traverse des océans à tout âge, des apnéistes flirtent avec les deux cents mètres et la vague de Nazaré offre aux surfeurs des vagues XXL dépassant parfois les vingt mètres de face. Tout ça pour dire que cette mutation est en cours. Il faut qu’on se réapproprie l’océan, non pas pour en miner les fonds et aller retirer le dernier poisson. Mon impression est que les humains n’ont jamais eu autant besoin de l’océan, et que l’océan n’a jamais eu autant besoin des humains. Des bons humains, évidemment.

Photo JL Parthonnaud

db : Quel rôle conserve aujourd’hui le surfeur dans cette mission, de prévention, d’action ?

hv : Le surf y a participé, même si aujourd’hui être surfeur ne signifie pas pour autant être écolo, aimer l’océan ou le comprendre. On peut être surfeur et crétin, être surfeur et prix Nobel, avoir sept ans comme quatre-vingt-douze. C’est comme faire du vélo: tout le monde fait du vélo, tout le monde fait du surf. Le surf n’a plus sa valeur porteuse qui était au début, «Le surfeur ne laisse que des traces de pas dans le sable, le sillage de sa planche dans l’eau, et il marche pieds nus, mange trois légumes, des ananas, du poisson, en voyageant avec un petit van». Le surf est sport de masse, il n’a plus de sens propre, ce qui lui manque probablement. Le surfeur est un paradoxe sur pattes.

db : Une organisation comme Surfrider Foundation a perdu en influence sur la communauté surf, du moins en France, remplacée notamment par Sea Shepherd, qui n’a pourtant pas du tout la même mission. Comment l’expliques-tu ?

hv : Ce que les surfeurs aiment, c’est l’image. Ils voient un type [Paul Watson] qui utilise des techniques de pirate pour une cause juste, en prenant des risques physiques et matériels assez importants: c’est excitant.

db : Aujourd’hui, tes livres résonnent moins comme une sonnette d’alarme et davantage comme une approche pragmatique, «Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?»

hv : Quand je dis que j’écris sur l’océan, les gens ont l’impression que j’écris sur la fin du monde. Certes, il y a beaucoup de ravages dans l’océan, mais plutôt que de rabâcher ce constat, trouvons des solutions. Et il y en a plein ! C’est le cœur du livre Demain l’océan (2018, Editions Albin Michel). Prenons un exemple, les plastiques. En soi le plastique n’est pas mauvais, c’est ce qu’on en fait, comment on l’utilise, qui doit être réfléchi. Le plastique est un matériau extraordinaire sans lequel on n’aurait plus de planète: ni véhicules, ni bateaux, ni téléphones, ni planches de surf ou combis…

db : Vive le pétrole ?

hv : Non ! Tu commets là une erreur très commune, le plastique ne consomme qu’une quantité infime de pétrole. On a besoin du pétrole pour les polymères, et encore on en fait de plus en plus sans pétrole. Le pourcentage de pétrole utilisé pour produire tous les plastiques imaginables – peintures, vêtements, voitures, plastiques médicaux, industriels, agroalimentaires, etc. – est de cinq pour cent.

On en est arrivé à des postures, à des éléments de langage. Quand j’entends les surfeurs dire qu’ils sont contre le plastique, je rigole. Donnez de l’argent à Patagonia dans ce cas, qui fait des combis bio et sans néoprène. Il faut revaloriser ces déchets plastiques qui dorment dans les mers et représentent des milliards. Les plastiques arrivent en grande partie à l’océan via les fleuves, or 90 % de ces plastiques ne proviennent que de dix fleuves dans le monde ! On s’installe dans les deltas avec des récupérateurs et il y a des millions à se faire. Si on ne raisonne pas comme cela, il ne se passera rien.

db : Demain l’océan est aussi symptomatique d’un phénomène d’initiatives citoyennes qui ont pris le relais des ONG traditionnelles. Tu parles de «crowdsourcing océanique». Quel regard portes-tu sur cette mutation de l’engagement ?

hv : Je crois que le moment pivot, s’agissant des associations, c’est l’avènement des sciences participatives. Avec un smartphone, avec un ordi, tu peux devenir éco-acteur. Tu vas sur le site Global Fishing Watch – que l’on doit à Leonardo DiCaprio et Google – et tu peux surveiller les zones protégées du monde entier, signaler les navires qui enfreignent les règles, repérés grâce à leurs transpondeurs. Et cela fonctionne. Des solutions, grandes et petites, il y en a pléthore. Et ça, ce ne sont pas des fake news.

db : Quel sera le sujet de ton prochain livre ?

hv : Il s’agit d’un roman. Une fiction, un thriller fantastique, en lien avec la mer. C’est comme ces histoires qui débutent par «et si…». Ce n’est pas une uchronie pour autant, c’est juste le contraire de ce que tout le monde attend par rapport aux catastrophes climatiques. C’est le truc auquel personne n’a pensé. Je n’ai jamais travaillé avec une telle exigence sur moi-même. J’étais à la page cent il y a trois mois et je suis à la page cinquante aujourd’hui. J’ai tout réécrit. Je peux te dire le titre, si tu veux. C’est un mot que les gens ne connaissent pas, ne connaissent plus: Talweg, un terme de géographie qui indique le point le plus bas entre A et B. C’est le fond d’une vallée, l’endroit où l’eau coule naturellement, trouvant elle-même le plus court chemin vers sa matrice: l’océan.

Paru dans Surfer’s Journal 132