Dans tout ce qu’on nous propose, dans tout ce qu’on voit, on ne sait plus où donner de la tête, mais il y a parfois des petites pépites qui surgissent, sur lesquelles on peut avoir la chance de tomber et qui soudainement nous séduisent, dont on prend alors le signe, l’objet comme un cadeau, pour soi ou pour offrir à quelqu’un qu’on aime bien. Comme par exemple en marchant au bord de l’eau et en trouvant un de ces bouts de verre brassé, lissé par le ressac qui aurait pris la forme d’un petit cœur. Ou encore un petit galet en forme de vague… On le prend, on le met dans sa poche, on l’y laisse ou on le met sur l’étagère ou on le donne justement à la bonne rencontre qu’on fait en suivant… On connaît ces gestes, cette sensation. La poésie des choses avec le flux de la vie.
Hé bien parfois un livre, ça fait la même chose. Surfeuses du bout du monde, c’est un titre qui fait rêver (on part ailleurs avec elles, au bout du monde), c’est un objet qu’on sent bien dans les mains (pas trop grand, 215×155 mm, à la fois ferme et lisse à palper, bien imprimé), ce sont des pages, des photos cadrées qui s’enchaînent mais qui une par une happent le regard (chaque image fait l’effet d’être une petite pépite en soi, une action, un détail, une atmosphère, un paysage avec une alternance sans aucune redondance, comme des notes musicales dûment rythmées sur 150 pages), ce sont des poèmes aux vers ciselés dans la roche, aux mots puisés dans les vagues, aux rimes tournoyées dans l’écume et avec, à côté, la photo qui les lit à voix haute,
Caresse fébrile
que cette onde gracile
s’avançant fermement
dans le crissement du vent
Masse cotonneuse
imbibée de remous
surface duveteuse
que la risée ébroue
Heurtée puis rejetées
elles avancent
submergées puis dominées
elle encensent,
ce sont deux femmes, auteures du livre, qu’avec d’autres habitantes du coin, on voit surfer, bodysurfer, ramer, marcher, s’élancer, plonger, glisser, loin de tout effet de performance, mais par amour de la mer, d’y glisser, d’y ressentir son corps, d’y libérer son esprit, d’y partager un plaisir et des paroles de filles, moins techniques que celles des garçons, mais toutes aussi nuancées et importantes («pas le nombre de vagues qui compte mais l’émotion sans frustration»), c’est le bout du monde, la presqu’île de Crozon où s’ouvre le monde, d’où part le monde, par où s’entend le monde (et qu’on découvre déferlant, luminescent, étincelant, envoutant, nuageux comme caillouteux, en noir et blanc comme en couleur)… Mais au plaisir sans fin à décrire ici le livre, mieux vaut inviter à le trouver, et à écouter une de ses auteures.
«C’est un projet qui nous a pris deux ans, raconte Séverine Rannou, surfeuse de Crozon, auteure des poèmes et professeure d’école. On s’est rencontrée dans l’eau avec Aïcha, passionnée de photos qui travaille aussi en argentique, et on a eu envie de faire un livre autour de ce qu’on ressentait, nous les filles, en surfant. De faire un livre au féminin, mais pas féministe. De faire aussi un livre sur cet endroit, la presqu’île de Crozon, où on surfe toute l’année et où on habite par choix de vie et selon un mode de vie simple. On n’y connaissait rien en livre au départ, mais on a eu de bons conseils et on a trouvé un imprimeur pas loin. Important d’être dans une démarche de circuit court. On a lancé un crowdfunding qui nous a permis de financer la moitié du projet, pour l’autre on y est allé de notre poche. Le livre a été tiré à mille exemplaires qu’on distribue nous-mêmes en librairies, en surfshops et en direct par le site. Cela a été une belle expérience qui nous a fait rencontrer Léa Brassy. On l’a invitée chez nous, on a surfé ensemble. Elle nous a montrées son film et nous a soutenues dès le début dans le projet. Léa a écrit la préface. On a choisi avec elle la photo de couverture prise sur l’estran, qui exprime bien l’idée de passage, de la terre à l’eau, aux vagues, au surf, aux voyages, au bout du monde…»
Dans sa préface Léa Brassy écrit «La mer est une actrice extravagante aux mille reflets». Avec Surfeuses du bout du monde, Aïcha Dupoy de Guitard et Séverine Rannou se révèlent deux délicates metteuses en scène qui ont compris, saisi tous les dons de «l’actrice».
Prix 29 €, qui n’est rien d’autre que le chiffre (du département) du «bout du monde». A ce prix-là on fait le voyage…
www.surfeusesduboutdumonde.com
Paru dans Surfer’s Journal 118