M. Nee

Le photographe Michael Nee raconte: “C’était un matin de novembre en Vendée, on était deux à l’eau et il y avait deux mètres parfait toute la matinée, dans un froid de canard !”

Dans ma tête je suis là et pas là, entre elle qui se déplace quelque part et que j’attends, et moi qui flotte à l’écart,
de moi comme du reste. Avec elle je bascule, j’oublie. Je m’allonge, rame, m’assieds, regarde. Les autres bougent, j’attends. Les autres attendent, je bouge. Tout le monde bouge, je bouge. Tout le monde attend, j’attends. Il n’y a pas de placement qui vaille, juste une place qui se glisse, qui s’immisce.

Dans ma tête elle est là et pas là, entre moi qui me déplace quelque part et qui attends, et elle qui avance à l’écart, de moi comme du reste. Avec moi elle bascule, elle déferle. Elle se lève, se tend, se creuse, se rend. Les autres regardent, elle me prend. Les autres la prennent, elle me regarde. Tout le monde regarde, elle surprend. Tout le monde la prend, elle regarde. Il n’y a pas de déferlement qui vaille, juste une une vague qui se glisse, qui s’immisce.

Dans ma tête je m’abandonne à ce qu’elle donne. Je suis
ce qu’elle est, ce qu’elle fait, ce qu’elle suit. Elle me défait,
je suis refait. Elle m’emporte, je suis porté. Elle m’embrasse, je l’enlace. Elle m’inspire, je l’avale. Elle m’avale, j’inspire. Elle s’efface, je passe. Elle n’est rien mais grâce à elle je suis tout. Elle revient, je repars.

Dans ma tête elle donne à ce que j’abandonne. Elle est ce que je suis, ce qui fuit, ce qui suit. Je l’imagine, elle me chagrine. Je la rencontre, elle se découvre. Je m’éveille, elle se révèle. Je l’attire, elle m’anime. Je la dévale, elle m’attire. Je passe, elle s’efface. Je ne suis rien mais grâce à moi elle est tout. Je repars, elle revient.

Dans ma tête je suis un autre et elle est moi. Elle est ce qui me conduit, m’éconduit, m’induit et avec quoi je m’équilibre et me déséquilibre. Elle est ce avec quoi je glisse, tombe, tombe, glisse. Je suis debout, elle me met sans dessus dessous. Je suis sans dessus dessous, elle me met debout. La réponse vient toujours de l’autre. Elle est celle qui me parle, celle avec qui je parle, celle dont je parle. Elle est l’autre avec qui je me réponds. Ma façon d’être avec moi et aussi une façon de comprendre les autres. Comme ça que je l’attends, l’entends et qu’elle me surprend.

Dans ma tête elle est moi et je suis un autre. Je suis ce qu’elle me dit, me fait et pour quoi elle me déséquilibre et m’équilibre. Je suis ce avec quoi elle ouvre, ferme, ferme, ouvre. Je suis parfait, elle me plie en quatre. Je me plie en quatre, elle est parfaite. La réponse vient toujours de l’autre. Je suis celui qui la reçoit, celui avec qui elle déroule, celui  qu’elle enroule. Je suis l’autre avec qui elle se dévoile. Sa façon d’être avec moi et aussi une façon de comprendre les autres. Comme ça qu’elle m’entend, me surprend et que je l’attends.

Dans ma tête son corps s’entête et je suis à la fête. Elle me frustre, me ravit, me ravit, me frustre. Elle est mon instant de joie dans la voie de tous les instants. Elle sonne en moi comme la voix qui bastonne et qui ordonne. Elle sonne en moi comme la voix qui déconne et qui pardonne. Elle sourit de ce que je suis, de ce que je dis, de ce que je fuis, pourvu que je la poursuive. Mais si je la suis, c’est qu’elle me poursuit aussi. Pour ça qu’on s’entend, qu’on se rencontre. Qu’elle déferle et que j’attends.

Dans son corps ma tête s’entête et je suis à la fête. Plein de joie, plein de frustration, je suis l’instant qu’elle broie, noie, déploie. Je bouillonne en elle comme le roi qu’on coupe et recoupe. Je bouillonne en elle comme le roi qu’on salue et resalue. Je souris de ce que je suis, de ce que je dis, de ce que je fuis pourvu qu’elle me poursuive. Mais si elle me suit, c’est que je la poursuis aussi. Pour ça qu’on s’entend, qu’on se rencontre. Que j’attends et qu’elle déferle.

Dans ma tête mon âme avale la vague.

Dans ma tête la vague trouve son âme.

Gibus de Soultrait

Paru dans le Surfer’s Journal 113