Les derniers chiffres de températures tombent. Le mois d’octobre 2015 révèle une température planétaire de 1,04 ° supérieur à la référence climatologique calculée sur la période 1951-1980. Cette hausse correspond aussi à l’effet conjugué des conséquences chaque jour plus évidentes de nos émissions grimpantes de gaz à effet de serre et de la formation en cette année 2015 d’un El Niño particulièrement puissant. (Celui-ci se marque, comme chaque fois, par le déplacement des eaux tropicales chaudes du Pacifique ouest vers le Pacifique est, engendrant sécheresse en Australie et en Asie — voir les feux initiés pour la culture de l’huile de palme en Indonésie devenus incontrôlables, une catastrophe écologique dramatique peu médiatisée — , arrêt de la remontée des eaux froides le long de l’Amérique Latine et pluies diluviennes sur les Andes.)
Pour rappel, les négociations sur le réchauffement climatique visent à ce que la température planétaire ne soit pas, à terme, supérieure à 2° par rapport à celle des années 1990. Au-delà de ce seuil, les modèles de simulation rentrent dans la zone rouge, en laissant entendre une imprévisibilité de l’échelle des événements climatiques et de leur survenue, partout sur la planète. Mais en même temps précise Françoise Gaill dans sa présentation lors d’Océan Climax à Darwin (SJ n°110), «nous ne savons pas exactement ce qu’il en est de l’océan en dessous de 700 mètres, et donc actuellement ces données ne rentrent pas dans l’étude des réactions climatiques en chaîne». Un propos de scientifique qui invite à garder raison en ne disant que ce qu’il voit et sait, tout en insistant sur l’importance actuelle de mieux connaître l’océan et bien sûr de le préserver.
S’il ne fait plus aucun doute que l’émission excessive de nos gaz à effet de serre, avec à terme 10 milliards d’individus sur terre, oblige la civilisation moderne à modifier radicalement son fonctionnement (énergie, mode de vie et mêmes valeurs), l’adaptation d’une vie satisfaisante pour tous évoluant à l’équilibre avec le rythme d’une planète pouvant se régénérer, ne va pas se faire en un jour. En attendant, la politique des petits pas qui font les grands est une bonne façon d’y croire, à l’exemple ici de nombreux acteurs associatifs, institutionnels, scientifiques… ayant créé la Plateforme Océan&Climat, comme un carrefour des connaissances océanes en cours, comme un moyen de diffusion du message océan et de pression sur la décision politique.
Architectes et moteurs de cette plateforme, annoncée lors de la Journée mondiale de l’océan, le 8 juin 2015: Surfrider Foundation Europe, le CNRS (avec notamment Françoise Gaill), Innovation Bleu (présidée par la navigatrice Cathrine Chabaud) Tara (qui mène des expéditions de relevés), Iddri (institut du développement durable et des relations internationales)… au total aujourd’hui une cinquantaine d’associés, ayant œuvré notamment à la présence, désormais incontournable, de la question océane (avec toutes ses problématiques et ses enjeux) comme question cruciale dans les négociations sur le climat.
Lors de la Cop21 à Paris, l’océan a eu sa programmation et ses journées pour se faire valoir aussi bien dans le cercle des hommes et femmes de pouvoir que dans le débat public. (Et que SFE ait eu son droit d’entrée, au Bourget, dans l’espace restrictif des négociations en haut lieu n’est une moindre reconnaissance du travail important de l’association).
«Mais après Paris, nous dit David Data de SFE, il y a en 2016 la COP22 à Marrakech, Maroc, qui peut être une bonne occasion, avec tout ce qu’on peut tisser d’effectif d’ici là entre les pays et les organismes, de faire monter la question océane à tous les niveaux. La Plateforme océan climat n’en est qu’à ses débuts, mais elle ne peut que monter en puissance.» A suivre donc, mais surtout de quoi espérer et s’engager pour l’océan. A bon entendeur…
—Gibus de Soultrait – Surfer’s Journal 111
(Retrouver dans ce numéro SJ 111, l’interview de Françoise Gaill, Directrice de recherche émérite au CNRS et co-fondatrice de la Plateforme Océan&Climat)
Post-scriptum. Depuis l’écriture de cet article, il y a eu l’accord de Paris en conclusion de la Cop21. Pas plus de 1,5°, 100 milliards pour les pays en développement… Les décisions et l’accord de la Cop21 ont mis la barre haute par rapport à l’opportunisme général de notre monde moderne actuel. Mais celui-ci, comme un système météorologique alliant dépressions et anticyclones dans un maillage imprévisible mais incessant, a tout lieu de transformer notre agitation intempestive en inventions opportunes.
Le puissant signe de partage qu’envoie cet accord vaut déjà pour lui-même, comme une houle longue en route amenée à déferler sur des rives multiples. Bien sûr il y aura du vent contre, de la houle de travers, conduisant au final à des vagues en pic éparses, aléatoires mais pas moins à prendre, à partager sur un rythme plus entendu avec ce qui les fait survenir, déferler. A bons entendeurs surfeurs, ça va batailler au line-up de la planète, mais à tout le moins l’humanité s’est mise à l’eau… et commence à comprendre que “la vague est reine.”