Matt Biolos a les boules. Il vient de se faire opérer des oreilles en pleine année El Niño et le shaper déjà bougon d’ordinaire l’est encore plus. C’est sûr, il vient de se taper 40 jours de snowboard à Mammoth Mountain, mais bon, ce n’est pas la même chose. Le gars veut des vagues.
Copropriétaire de Lost/Mayhem, parmi les marques de planches de surf les plus connues, de celles qui font gagner, Matt Biolos est une voix qui compte lorsqu’il s’agit de discussions sérieuses sur le matériel de surf. La pression d’un chef d’entreprise (les dizaines d’emplois, une pléthore de licences internationales à gérer, la rentabilité financière) lui donne cette allure du type qui porte toute la responsabilité sur ses épaules. Mais si vous voulez inverser ce rictus, abordez donc le sujet des planches.
—Scott Hulet
Scott Tu trouves encore le temps de jouer du rabot et de shaper des planches à la main ?
Matt Disons que si le New York Times m’interviewait, je prendrais la pose pour une séance photo. J’ai passé la moitié de ma vie à shaper manuellement. Mais je tiens à mes coudes et à mes épaules, je veux pouvoir m’en servir pour m’amuser. Alors quand je dessine une planche désormais, c’est devant un écran.
Scott Je n’ai jamais eu l’occasion de suivre ce type de fabrication…
Matt Je te montre (il allume l’écran de l’ordinateur). Voilà une 5’6’’ par 18,8’’ de large et 2,24’’ d’épaisseur. Elle fait 25,05 litres. Voilà le pont, ici l’outline. On va passer l’image en 3D (il clique sur une touche et la planche s’anime sur l’écran comme un vaisseau spatial). Regarde les lignes, tu peux les renverser, observer différents angles. Chacun de tes gestes est parfaitement symétrique. Tu peux la couper en deux, la comparer à l’originale. Je peux lui ajouter de l’épaisseur sous la voute de ton pied, tout en conservant les mêmes rails et la même épaisseur ailleurs. Le concave fait 23’’ de profondeur. On peut en rajouter (il tape sur de nouvelles touches). Et maintenant on peut envoyer ce fichier à la machine, voir ce que cela donne entre les mains, puis repasser sur l’ordinateur, faire des modifications, lancer une nouvelle planche. On peut expérimenter à l’infini.
Scott Ok, ça se tient. Mais combien de planches par an produisent des gros fabricants comme Channel Island ou … Lost ? Des dizaines de milliers ?
Matt Oh ouais, bien plus encore. Je ne me soucie pas vraiment des chiffres quand il s’agit de planches. Je tiens juste à faire en sorte de ne pas en faire bien plus que je peux en vendre.
Scott Le surf est devenu si populaire que la pratique s’est divisée en des dizaines de sous-genres. Il est difficile pour une marque de planches d’arriver à contenter tous ces marchés de niche ?
Matt Ce serait le cas si, lors d’une assemblé générale des actionnaires, on se disait: «Nous devons toucher tous ces marchés sans exception». Mais ce n’est pas notre vocation. Nous faisons ce qui nous plaît, ce qui nous inspire. Je ne fais pas de longboards. J’ai dû faire quelque chose comme trois planches au-dessus de neuf pieds dans toute l’année. Je ne fabrique pas de fish rétro à la Steve Lis, pas plus que de mini Simmons. Je laisse ça aux types qui vivent dans ce monde. Moi, mon crédo, ce sont les planches performantes destinées à des surfeurs de niveau moyen. Nous bossons avec les compétiteurs pros aussi, c’est sûr. Mais les ventes, celles qui payent l’emprunt de ma maison, se font sur les planches que mes amis et moi avons créées. Le spot de Trestles est un centre d’essai parfait. Nous bossons sur des shapes que j’ai en tête, et de là, on commercialise les planches qui nous plaisent. Ce que font les surfeurs du team, c’est d’apporter de la confiance auprès de nos clients, de les convaincre que nos planches fonctionnent pour des surfeurs de haut niveau. En voyant surfer Taj (Burrow), Kolohe (Andino), Carissa (More) ou d’autres encore, le client a foi en ce que nous faisons. Et s’il s’agit d’un jeune surfeur qui est convaincu qu’il lui faut la réplique exacte de… disons Kolohe, et bien c’est là qu’intervient notre service du sur mesure.
Scott Quelles seront selon toi les prochaines avancées en termes de matériaux et de shape ?
Matt Il faut bien prendre en compte le phénomène des vagues artificielles. D’ici deux à dix ans, le design des planches va devoir s’adapter à ces piscines à vagues. D’une part, il s’agira de planches conçues pour évoluer sur un support régulier. Ensuite, il faudra enlever de l’équation toutes les données de course à la rame, de canard, de placements stratégiques au line-up. Et pour être honnête, même le World Tour devra se poser ces questions. Lorsqu’un client commande une planche du même volume que celle de Taj, je lui réponds: «Mais Taj surfe avec seulement un autre type à l’eau et dans des vagues parfaites. Si les vagues sont bonnes, tu vas te retrouver avec 90 gars à l’eau.» Mais l’essor des vagues artificielles va entraîner un véritable séisme dans la façon de concevoir les planches. Ce ne sont pas des suppositions. Nous avons consulté les gens de Wavegarden. J’ai eu vent de trois ou quatre projets qui vont voir le jour d’ici peu. Multiplie ce chiffre par dix et tu peux être sûr que le shape des planches va évoluer sensiblement.
Scott C’est du sérieux, dis donc. En parlant de chiffres, tu peux nous dire combien de planches environ il faut pour un de surfeurs de ton team, pour une année sur la circuit pro ?
Matt Kolohe Andino surfera plus de 150 planches en une saison. Pour bien faire, tu dois apporter dix planches sur chaque épreuve. Tu tomberas sur une ou deux planches pourries et tu vas en casser un paquet. Ce sont de jeunes surfeurs, ils ont un style agressif, ils ont la niaque et envoient des airs à deux mètres cinquante. Ils ont vraiment besoin d’autant de planches.
Traduction David Bianic
Paru dans Surfer’s Journal 118