La Cité de l’océan à Biarritz a ouvert ses portes pour une journée consacrée à la compréhension de la richesse du biomimétisme océan. Ici Emmanuel Delannoy*, penseur des relations du vivant et de l’économie, ouvre les conférences avec une allocution optimiste et captivante.

Du surf à la Cité de l’océan, à Biarritz ! Sont-ce les volutes dansantes d’une méduse blanche, peinte sur un simple panneau de bois, aspirant dans ses tentacules, les lettres en capitale d’un “océan source d’inspiration & d’innovation” ? Ou est-ce le passage ondulant d’une sirène pas loin, s’ébrouant dans la chevelure des vagues, et enroulant dans son mouvement les récits imaginaires de quelques éberlués du futur ? Les puissances de la nature gardent pour elles le secret des circonstances, dans ce qui fait parfois l’alchimie d’un jour important dans la vie d’une cité. Mais à tout le moins on peut le dire, ce samedi 18 mars 2017, journée de rencontres à Biarritz autour du biomimétisme, aura été marquant pour cette Cité de l’océan qui, enfin, se vit habitée d’un surf plein de beauté et d’espoir. Plein d’inspiration et d’innovation.

Petit retour en arrière, cette cité, du temps où elle s’imaginait en projet et était source de rêves, s’appela Cité du surf, puis Cité du surf et de l’océan, puis Cité de l’océan et du surf, mais avec un surf qui n’était que désolation le jour de l’inauguration en 2011, au point qu’il valut mieux le sacrifier sur l’autel de la scénographie et ne nommer l’endroit que Cité de l’océan.

Bardée d’attractions ludo-scientifiques y diffusant un savoir océan de base, la Cité se transforme donc, le 18 mars, en un haut lieu du futur. Ouvert gratuitement au public le temps d’une demi-journée, le bâtiment réunit tout ce que la ville de Biarritz et la Région Nouvelle-Aquitaine comptent de politique, d’entrepreneurial, d’associatif et de passionnés de la cause océane et écologique. Car pour préserver l’océan du saccage dont on l’accable (pollution, surpêche, extinction d’espèces…), n’est-il pas plus judicieux d’en prôner toute la richesse interne, susceptible de pourvoir à nos besoins de demain et de parfaire une consommation plus adaptée ? Le biomimétisme s’intéresse aux capacités du vivant dans sa minutie (physique, mécanique, biologique…) à s’ingénier pour s’adapter à son écosystème. Et partant de là, en tirer des découvertes susceptibles d’améliorer nos objets de demain, dans un écosystème à préserver.

Parrains et acteurs de cette journée: la Région Nouvelle-Aquitaine, la Ville de Biarritz, le Ceebios (Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis) et l’équipe de Darwin Bordeaux dont l’expérience quotidienne d’une démarche écologique, entrepreneuriale, responsable et militante, en fait un porte voix inspiré
et créatif dans l’organisation de cette manifestation.

Première surprise en rentrant dans la Cité, trois planches de surf poissons, structurées d’arêtes et d’écailles stratifiées, de l’artiste contemporain breton Edgar Flauw (voir Surfer’s Journal n°118), trônent à
l’entrée. Le surf est là, avant même la prise du ticket, et de façon si esthétique et opportune avec le thème du jour qu’on en oublie l’incongruité étonnante de la forme des planches.

Des planches de surf poissons bardées d’arètes pour cette journée biomimétisme, une bonne occasion aussi de faire rentrer le surf à la Cité de l’océan, grâce à la venue de l’artiste lui-même, le surfeur breton Edgar Flauw (voir Surfer’s Journal 118).

Deuxième acte fondateur d’un surf en passe de «droit de Cité», l’allocution captivante d’Emmanuel
Delannoy, biologiste de formation, devenu expert des relations entre le vivant et l’économie, directeur de l’Institut Inspire*. Son propos s’élance sur une vue spatiale de la planète bleue pour décrire trois constats.

1) L’inversion des raretés: au début de la modernité et de l’ère industrielle, il y avait 1,2 milliards d’habitants sur terre, la ressource était abondante mais la compétence, du fait du peu d’éducation de la population, était précaire. La production puisait et produisait sans compter. Aujourd’hui on est 7 milliards, la ressource s’épuise, mais l’intelligence est de mise. L’éducation, la connaissance, la compétence seront de plus en plus en abondance, de quoi inventer une économie de la rareté.

2) La désynchronisation: on épuise la ressource minérale 25 fois plus vite qu’elle n’est capable de se reconstituer. Il est temps d’inverser le processus

3) La systémique des limites: à la destruction dont elle est le cours (l’entropie), la nature oppose la création (la néguentropie) qui est une opportunité à saisir. Exemple la photosynthèse propre à la création de la vie sur terre est utilisatrice de Co2… La vie crée des conditions propices à la biodiversité.

De ces trois constats, Delannoy explique avec un optimisme raisonné l’intérêt du biomimétisme, exemples à l’appui: la peau de requin dont la flexibilité des mailles est un accélérateur de mouvement, a en plus à la particularité d’empêcher l’accumulation des bactéries. De quoi en tirer le mécanisme pour un revêtement anti-bactérien dans les hôpitaux et pour des membranes encore plus efficaces dans la récupération de l’énergie ondulatoire maritime à des fins d’électricité. Ou encore l’adhérence de la moule aux rochers qui pourrait coller du poids en tonne…

Avec Delannoy, comme avec d’autres intervenants dans la journée, on découvre le génie du vivant et la ressource inépuisable qu’il y à s’inventer et se modéliser à partir de lui,
à l’image de cette observation des fourmis qui a permis de créer le GPS.

Puis en fin de propos, Delannoy, habitant de Marseille et n’ayant aucune affinité spécifique avec le surf reprend la figure de celui-ci avec une superbe photo Laird Hamilton à Jaws, dans son Power Point, tout en disant, comme une évidence pour lui, que le surfeur est la figure de demain. Il l’est par son éthique qui est celle de composer avec la vague, comme nous devrions composer avec la nature. Voilà qui est dit, en parole d’expert scientifique de la nature. Donc seconde rentrée inattendue du surf dans la Cité, et pas par n’importe quelle porte !

Du coup on tourne la tête vers l’arrière de la salle et on tombe sur la magnifique exposition de photos de surf de Bastien Bonnarme, installée pour la journée mais qui finalement, au moment de tout remballer, restera au cœur de la Cité, incrustée désormais dans la scénographie de la salle…

Sur le podium, les allocutions, politiques, scientifiques, entrepreneuriales se succèdent, chacun apportant son témoignages face à l’intérêt et à la portée du biomimétisme. Cette journée est aussi celle de la signature d’une convention entre la Région Nouvelle-Aquitaine, Biarritz et le Ceebios pour la création rapide d’une annexe océane de celui-ci, sur un terrain à quelques pas de la Cité. Un projet qui s’inscrit également dans une politique de la Communauté d’agglomération Pays Basque faisant de l’océan un pôle local principal de recherches et d’activités.

Parmi ceux qui s’expriment, Christophe Seiller de l’Eurosima a la franchise de dire que le surfbusiness ne s’est jamais soucié de biomimétisme, son travail en recherche et développement s’étant limité au textile plus ou moins technique à vendre. Mais le positionnement des entreprises change, avec de jeunes pousses qui donnent l’exemple. Seiller passe alors le micro au surfeur émérite Xabi Lafitte, co-fondateur avec Philippe Gray-Lopez de S-Wings. Xabi raconte comment la démarche biomimétique et technique fait partie de l’invention et de l’évolution de ces nouvelles dérives, inédites par leur forme, et performantes par leur relance. Le surf résonne à nouveau sous le plafond en forme de vague, vue sous l’eau !

Xabi Lafitte, co-fondateur avec Philippe Gray-Lopez de S-Wings, des dérives performantes par leur relance, dont l’invention relève du biomimétisme. www.s-wings.surf

Puis surprise du chef, Olivier Mercoli, nouveau directeur de la Cité de l’océan, invite tout un chacun à venir dans la salle d’à côté pour une session de surf à 360°, la toute prochaine attraction du lieu. Quelle journée ! D’autant que c’est onshore côté mer. Bardé d’un casque de vision filmée à 360° et les pieds attelés à une planche qui bouge en conséquence, chacun file sous la lèvre d’une vague de reef cristalline, tout en observant le tube s’incurver sous ses yeux. L’expérience est probante, plaisante, même pour celui qui sait tuber. Ces trois minutes du Graal de tout surfeur font des émules chez néophytes. La queue va être longue cet été, se dit le directeur, tout sourire. On le lui souhaite, car il doit faire des entrées, beaucoup d’entrées ! Une installation de surf virtuel, type jeu vidéo, fait déjà carton plein depuis an. La nouvelle attraction continue de mettre le surf dans le panier du visiteur. A croire que la Cité est en train de devenir une surf house ! Avant peut-être un jour de retrouver sa mission du projet de départ: le surf, – son histoire, sa culture, sa pratique (son «universalité») – comme introduction à la connaissance de la machine océano-atmosphérique, et comme diffusion du message écologique.

L’équipe Darwin, par qui le surf est rentré en cette journée à la Cité de l’océan de Biarritz

La journée d’inspiration et d’innovation océanes touche à sa fin. La méduse blanche continue sa dérive ailleurs, sous l’effet des courants et de ses volutes. La sirène passée sur la plage d’à côté, forte de ces rêves biomimétiques, retourne en mer enchanter les surfeurs rêveurs. Les planches poissons d’Edgar Flauw repartent en voyage pour d’autres spots à surfer. Mais en ce jour du 18 mars, par l’alchimie d’un biomimétisme opportun, le surf est rentré dans la Cité de l’océan et devrait peu à peu s’y plaire et s’y déployer… A suivre.

—Gibus de Soultrait

Paru dans Surfer’s Journal 119

* Pour découvrir les travaux d’Emmanuel Delannoy 

www.inspire-institut.org et http://permaeconomie.fr