Un livre majeur sur un personnage et surfeur légendaire.

L’image de Duke Kahanamoku (1890-1968), «le père du surf moderne» disparu il y a cinquante ans, est une icône essentielle et incontournable du monde du surf, tant fut grande son influence et tant il était photogénique. Pourtant, paradoxalement, nous ne savons pas grand-chose de son existence alors que, jusqu’à Barack Obama, il était le plus célèbre natif d’Hawaii.

Apôtre du surf, il l’a révélé au monde et il incarne presque à lui seul la culture et l’histoire de cette pratique dévorante qu’il nous a transmise. À l’aube du XXe siècle, membre du dernier carré des surfeurs hawaiiens, il contribua de manière essentielle à sa relance en captivant les Alexander Ford et autres Jack London qui en clamèrent ses bienfaits, en créant le premier club de surf au monde et en réalisant des démonstrations sur les côtes américaine et australiennes. Sa «Long Ride» est restée dans la légende des plus épiques sessions de l’histoire du surf. Esprit à la fois novateur et empreint de tradition, épris de technique et shapant lui-même ses planches, ouvert aux autres et précurseur, il servit de lien entre la pratique traditionnelle hawaiienne et les évolutions modernes. Avec les beachboys de la grande époque, il contribua à formaliser les règles de bonne conduite en surf qui prévalent encore de nos jours. Plus tard, devenu mentor, conseiller et référence dans le domaine, il parraina les premières véritables compétitions qui portèrent son nom. Il a quasiment inventé à lui seul le style de vie décontracté associé au surf et a soutenu les premières associations de sauvegarde des océans et des spots.

Athlète voué à toutes les pratiques océaniques, qu’elles soient héritées de la civilisation ancestrale hawaiienne ou développées durant son siècle, il s’intéressait à toutes les dimensions de l’élément liquide et pas seulement à sa surface déferlante. Il ne concevait ainsi sa pratique du surf que dans le cadre d’autres activités nautiques: natation avant tout, mais aussi pêche, bodysurf, plongée, navigation, aviron, pirogue, paddleboard, water polo, aquaplane… Il fut la première incarnation moderne du waterman complet et il en constitue aujourd’hui la référence définitive. «En dehors de l’eau, je ne suis rien», affirmait-il.

S’il est resté une figure populaire (mais pas forcément bien connue) aux États-Unis et, évidement, à Hawaii, il est tombé dans l’oubli en France en dehors du milieu du surf. Il fut pourtant célèbre mondialement en son temps, non pas comme surfeur, mais comme première star internationale de la natation, lançant le crawl moderne, titulaire d’innombrables records et médaillé olympique à plusieurs reprises sur un intervalle de plus de douze années. Ce jeune homme pauvre de Waikiki n’ayant jamais quitté son archipel traversa les océans pour parcourir le monde et accéder à la renommée universelle. Combinant paradoxalement humilité et esprit de compétition, il fut le premier Polynésien à accéder à la gloire olympique et un des premiers athlètes de couleur à être reconnu mondialement, tour à tour champion olympique, l’un des tout premiers sportifs à avoir une ligne de vêtements à son nom, acteur à Hollywood, beachboy, shérif d’Honolulu, ambassadeur et hôte officiel d’Hawaii, sauveteur en mer…. Sa vie fut une véritable saga, allant du royaume hawaiien à la transformation de l’archipel en 50eme État américain, de l’invention de l’automobile à la conquête spatiale, de celle du cinéma à la télévision, des premiers jeux de Coubertin à l’olympisme mondial, à travers deux conflits mondiaux et des bouleversements sans précédents dans l’histoire de l’humanité. Enfin, son destin inextricablement lié à celui de son archipel, il fut la plus belle incarnation de l’authentique esprit aloha, fait de tolérance et de sérénité, de modestie et de discrétion. C’est cette attitude et sa noblesse de cœur et non de rang qui lui permirent de traverser les aléas d’une existence souvent difficile où il fut exploité et dut affronter les diktats du sport amateur l’empêchant de tirer bénéfice de ses dons ainsi que les considérations raciales qui dominaient le sport et la société de l’époque. Comme le résume Steve Pezman, le fondateur de Surfer’s Journal: «Duke Kahanamoku doit être aujourd’hui vénéré pour avoir fait découvrir au monde, bien au-delà de son archipel d’Hawaii, la fière et digne mentalité des Polynésiens et leurs dons océaniques suprêmes.»

Comme beaucoup de watermen et authentiques hommes de mer, le caractère discret et peu expansif de Duke, à l’instar d’un Tabarly chez nous, n’a pas facilité son passage à la postérité: il a donné très peu d’interviews, il n’existe étonnamment que peu d’images le montrant en action nageant ou surfant, toute sa correspondance a été dispersée et ses photos sont perdues. La plupart de ceux qui l’ont côtoyé de près ont également disparu ou rechignent parfois à parler de lui. À Hawaii où Duke est statufié, au propre comme au figuré, faisant face au tourisme mercantile et non à son océan adoré. Les réticences à s’exprimer en détail à son sujet sont également nombreuses et jusqu’à présent n’existaient donc sur lui que des hagiographies convenues et des travaux universitaires assez confidentiels.

Le mérite de David Davis, journaliste sportif américain reconnu et qui n’est pas un surfeur, est donc d’autant plus grand d’avoir publié sa biographie (aux presses universitaires du Nebraska, l’État le plus central des Etats-Unis, à des centaines de kilomètres de toute façade maritime !), fruit de nombreuses rencontres et de recherches méticuleuses dans la presse, les bibliothèques et les archives. Waterman est une enquête «à l’américaine» sans complaisance, rigoureuse et documentée, mais dont le rythme soutenu, l’écriture claire, les qualités descriptives et le découpage offrent un authentique plaisir de lecture qui s’adresse à tous et pas uniquement aux surfeurs. En parallèle de l’histoire de notre héros défilent toutes celles d’Hawaii, de la natation et du surf moderne, de l’olympisme, des oppositions entre amateurisme et professionnalisme sportifs, de la lutte contre les discriminations raciales dans le sport, le cinéma et la société.

Pour cette édition française publiée à Biarritz, chez Atlantica, l’éditeur du surf, la traduction a été réalisée par votre serviteur qui a également rédigé une annexe inédite et spécifique consacrée aux séjours parisiens de Duke Kahanamoku, ainsi qu’à son influence sur le surf et la natation en France à travers la presse de l’époque où il fut très présent. L’iconographie a été considérablement enrichie passant d’une quarantaine d’illustrations pour l’édition américaine à près de 450 pour celle-ci, grâce en particulier à la collection SurfingMemory de Gérard Decoster qui a réalisé avec son talent habituel la mise en page et la maquette de l’ouvrage. L’ouvrage a bénéficié du soutien constant d’un waterman basque de France bien connu, de Quiksilver ainsi que des fédérations françaises de surf et de natation.

L’auteur et le tra«Duke»teur ressentent comme un honneur et un privilège le fait d’avoir pu côtoyer Duke en se plongeant dans son existence. À deux ans de l’introduction du surf aux Jeux Olympiques qu’il avait appelé de ses vœux et du centième anniversaire de ses démonstrations de natation sur la Seine, à six ans des JO de 2024 qui se tiendront de nouveau à Paris un siècle après ceux où il défendit sa médaille d’or du 100 mètres nage libre, Waterman rend enfin à Duke l’hommage qui lui est dû. Ce livre le replace dans le panthéon du surf et du sport en général. Non seulement on y apprend beaucoup sur ce personnage fascinant, mais on y découvre également une leçon de vie et une source d’inspiration pour tous. A lire donc !

—Hervé Manificat

Paru dans Surfer’s Journal 126

Waterman, Davis Davis, Atlantica, 22 €. Traduction Hervé Manificat