On m’a confié que Mark Healey est un jeune homme brillant, dynamique et à l’élocution facile. La rencontre a lieu sur son terrain d’un demi hectare, niché sur le plateau surplombant Foodland, cet incontournable lieu de passage du North Shore. L’arrière du terrain est en friche, avec de l’herbe à hauteur de genou, deux arbres fruitiers exotiques près de la maison, divers objets dont une barque de pêche hawaïenne de six mètres posée sur une remorque. Depuis le garage où un grand gun effilé repose sur le sol, nous entrons dans la cuisine. A ma question, il me décrit la planche comme trop extrême, trop étroite et trop fine. Il va la rendre. Son lieu de vie est un nid de célibataire plutôt propret, avec partout des preuves de ses centres d’intérêts. Mark fait le ménage suite à la fête d’anniversaire qu’il a donnée la veille pour son père, désormais séxuagénaire. Il avoue avoir encore un peu la gueule de bois, bien que ses propos ne le laissent pas entrevoir. —Steve Pezman
steve Comment expliques-tu cette quête permanente de défis extrêmes dans l’océan ?
mark Je pense que c’est lié à une certaine vision. Les gens qui me voient et ignorent toute l’histoire m’ayant mené à un tel engagement, auront vite fait de penser, «Mais ce mec là est dingue». Mais c’est comme lorsque je me lève la nuit pour aller pisser, je connais tellement ma maison que je n’allume pas la lumière. Quand tu passes tant de temps dans l’eau, depuis tout jeune, cela devient ta deuxième maison et il y a une logique dans chaque pas que tu fais et franchis.
steve Tu es aussi à l’aise en plongée profonde que sur un take-off vertigineux ?
mark Il arrive en fait que je ne sois pas à l’aise du tout. Voilà pourquoi j’aime ça. J’ai toujours été fasciné par la réflexion et le fait de garder les idées claires dans des situations extrêmes. Gamin, je regardais ces documentaires sur la Deuxième Guerre mondiale où ces appelés se retrouvaient en situation de vie ou de mort, et j’étais curieux de savoir comment ils résistaient. Ce n’est pas forcément le plus costaud qui s’en sort. C’est parfois le petit gringalet qui met la rouste aux autres. J’ai toujours été fasciné par l’engagement pour être efficace en situation stressante et chaotique, quand on se décharge de toute prétention. C’est pour cela que j’adore surfer le gros. On peut papoter autant qu’on veut mais une fois là-bas, personne ne va te pousser à y aller. Il faut forcer son propre engagement à s’exposer au danger, juste pour avoir la chance d’en attraper une.
steve Tu fais du tracté ?
mark Oui, je ferai du tracté si c’est l’outil pour les conditions du jour.
steve Où est le seuil où la possibilité de partir à la rame devient limite ?
mark C’est le truc, on n’en sait foutre rien. Il y a longtemps, je pensais pouvoir surfer à Jaws à la rame, que ce serait top d’avoir un jour trop petit pour le hordes de teams en tow-in, dans les cinq mètres, voire quelques-unes à six mètres. Aujourd’hui j’ai vécu cela, nous avons surfé ces jours possibles et même poursuivi au-delà. Mais quand tu mesures la vitesse d’une vague à trente nœuds, comment imaginer pouvoir partir à la rame ? Ce qui semblait impossible en fait ne l’est pas ! Si tu es au bon endroit sur la bonne vague, tu peux partir sur une vague aussi grosse que tu oses tenter.
steve Quels sont les facteurs qui permettent cela ?
mark Le placement. Tu as rarement l’occasion d’observer la face de la vague d’un point fixe derrière le pic. De là, tu peux voir comment l’eau se déplace. Mais j’ai eu la chance de voir et d’étudier des images de Waimea, tournées ainsi. La vague bouge tellement vite et déplace tant d’eau que lorsque tu rames pour partir, tu penses avancer en avant alors que c’est faux. En fait tu maintiens juste une position, dans l’espoir que tout se passe bien et que, d’un coup, la gravité prenne le relais. A ce stade, c’est plus dangereux de refuser. Il n’y a pas de gris. C’est noir ou blanc.
steve Que se passe-t-il quand tu bouffes sur une de ces vagues limites à la rame ?
mark L’effet poupée de chiffon est plus que violent. Je garde une certaine tension, juste pour ne pas perdre un membre, mais pas au point de brûler trop d’oxygène. Ta stratégie en cas de chute doit être une seconde nature, instinctive comme aller pisser la nuit. Je n’y pense pas. Quand ça part en live, chaque seconde exige de ta part une réponse adaptée.
steve Quelle partie de la vague est la plus intéressante, selon toi ?
mark Sur une grosse vague, j’aime l’instant juste avant la transition, aux trois quarts de la descente et à vitesse maxi, quand je pense, «Ok, il est temps de déclarer ses intentions ! Comment vais-je gérer cela et surfer la planche plutôt que la subir…?» Cela devient de l’art, quand tu dois résoudre la question, «Que vais-je bien pouvoir foutre de toute cette vitesse et qu’est-ce que va faire la vague ?» C’est là que tu découvres la façon de penser d’une personne. Tout le monde rame et se met debout plus ou moins de la même manière, mais ce qui compte c’est ce qui vient après, ce que tu fais de toute cette énergie.
Recueilli par Steve Pezman
Traduction Pascal Dunoyer
Paru dans Surfer’s Journal 116