Un livre de surf qui pèse plus lourd que votre planche de surf, à l’heure où tout se dématérialise avec le numérique, qui plus est la lecture, voilà qui est détonant. Mais les Editions Taschen, sortant ce printemps Surfing, (7 kg, 592 pages, 30 X 40 cm, près de 1500 images…) n’en sont pas à leur premier livre XL, ni à leur premier livre de surf. Connues pour donner à leurs publications un fort impact qualitatif à l’image et sur un large spectre de thèmes (art pictural, architecture, photographie, érotisme, mode, stars…), les Editions Taschen ont déjà jeté leur dévolu sur le surf à partir des photos historiques, des 50’s aux 70’s, de Leroy Grannis. Un résultat savoureux que plus d’un surfer a dans sa bibliothèque.
Avec le livre Surfing, on passe à une autre dimension. Le format, le nombre de photos… mais surtout l’étendue du sujet puisque sont regroupées dans cet ouvrage des images recouvrant dans le détail l’histoire du surf, depuis le passage du capitaine Cook à Hawaii jusqu’à aujourd’hui. Maître d’œuvre d’une telle odyssée iconographique, Jim Heimann, surfer ayant grandi dans la Californie des 60’s, devenu designer graphiste et spécialiste de cette culture artistique, sportive et populaire californienne qui n’eut de cesse de bousculer l’Amérique. Auteur d’un livre remarquable sur l’histoire de Los-Angeles, tant par le texte et que par les photos rassemblées, Heimann est celui par qui la Californie, ses vagues et ses surfers déferlent chez Taschen.
Pour Surfing, Heimann n’a pas moins passé en revue près de 7 000 images et travaillé en équipe pendant trois ans sur le projet. Quelle épopée ! Quelle mission aussi, car la sélection des photos a dû être déchirante plus d’une fois. Mais mission réussie pour Heimann dont la très bonne connaissance du surf, la perception esthétique de chaque image et la vision sociétale de chaque époque font de son fastidieux travail un ouvrage dûment équilibré, pour présenter le surf à la fois dans son histoire hardcore et dans celle plus générale qui l’orchestre et qu’il influence.
Avançant chronologiquement, le livre s’appuie sur des textes de plumes reconnues du monde sur surf, comme Matt Warshaw, Steve Barilotti, Chris Dixon, Drew Kampion… notamment collaborateurs de Surfer’s Journal. Bien sûr la richesse iconographique, avec des photos très précisément légendées, vampirise un peu l’attrait des textes. Pour autant ceux-ci offrent un balayage très pertinent et éclairant de ce qui fait les grandes étapes et moments déclenchants de l’histoire du surf.
Un tel livre est évidemment unique, et le surf et sa culture peuvent en tirer une certaine fierté car l’ouvrage est plus qu’à leur honneur. Mais ce qui la spécificité de Surfing, c’est qu’au-delà d’être une forme de bible iconographique de l’histoire du surf moderne, marquée ici californienne, il procure une expérience de lecture inédite, avec cette saveur d’une dégustation sans fin.
Déjà la couverture illustrée par une aquarelle de John Severson et qui plante le décor par son bleu océan et ce coup de pinceau si emblématique et reconnaissable de l’artiste peintre photographe cinéaste surfer, fondateur du premier magazine de surf Surfer magazine en 1960. Puis démarre le voyage des pages qu’on tourne, avec très vite l’ivresse de tant de photos, noir et blanc, couleur, d’action, d’ambiance, de mode, de pub, de voyage, de plage… où la force symbolique et l’intérêt historique en font une galerie de joyaux, qu’on soit expert ou non de la culture surf. Forcément, à moins d’être studieux ce que l’ivresse de l’expérience rend difficile, l’appétit de lecture rend celle-ci tourbillonnaire et on saute très vite d’une décennie à une autre, en avant comme en arrière, conduit aussi par l’appel d’une photo emblématique ayant pu être publiée dans un magazine, éditée en poster, collé au mur d’une chambre, ramenant à la surface kyrielle de souvenirs. Evidemment plus on a de cheveux gris et d’années de bourlingage dans les vagues, plus l’expérience est envahissante.
Mais ce serait une erreur de limiter le plaisir d’un tel livre aux seuls anciens. Quiconque a la curiosité et a fortiori la passion du surf est aussitôt avalé dans ce voyage à tourner tant de pages éloquentes. A chacun son plaisir des beaux livres, mais ce qui est aussi attirant avec Surfing, c’est sa solidité qui invite justement à ne pas le laisser dans son emballage, mais bien à le poser sur la table, pages ouvertes, avec le délice de s’en offrir une session (partagée), au fil des jours, au fil du temps. Il y a les planches qui met au mur et celles qu’on surfe. Un tel livre n’a pas sa place dans l’étagère de la bibliothèque, mais bien dans les mains qui le manipule et remanipule avec un regarde avide et très vite extasié. Certes, un tel morceau, il faut lui trouver de la place chez soi, plus difficile qu’un ordinateur portable. Mais comme tout objet qui prend vie avec soi, on le bouge, chaque double page, par sa grandeur et son esthétisme devenant même l’opportunité une coloration changeante de décor surf quotidien…
Par ailleurs, si par son prix, 150 €, (pas cher compte tenu de la conséquence de l’ouvrage), une telle expérience ne peut être individuelle, celle-ci a tout lieu d’être collective, et plus d’une entreprise surf, plus d’un surf-club, plus d’un concept store pourrait se donner comme mission surf d’avoir en son sein Surfing, en le mettant à la disposition de ses employés, de ses membres, de ses clients dans une pièce commune. Et qu’importe si une page se retrouve un peu écornée, la propagation concrète de toutes ces images comme autant de vagues à découvrir, surfer, partager dans les interstices du temps quotidien serait salvateur en cette époque de quête d’identité et de sens. Car s’il y a bien une chose que confirme ce magnifique livre, c’est le que le surf, par sa longue histoire et la vitalité de sa pratique et sa culture, est un beau tremplin d’existence pour quiconque y prend goût à sa façon. Voilà un livre qui va en appâter plus d’un…
—Gibus de Soultrait
(Paru dans Surfer’s Journal 113)