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A l’heure où le vaste champs de l’univers de la «data» est en train de devenir la nouvelle mine d’or de notre existence numérique et consommatrice, chaque fois plus immédiate et à la mémoire éphémère, il y a peut-être un anachronisme de la part d’un auteur et de son éditeur à croire à la mission encyclopédique (modestement) d’un livre. Mais heureusement il y a encore des «fous» sur terre qui se détournent des injonctions capitalistico-idéalistes des gourous algorythmés et fortunés de la Silicon Valley. Face à l’universalisme numérique dans lequel ces derniers ont décidé de baigner tout ce qui désormais nous sera donné à lire, à voir, à entendre, il y en a qui croient encore en Jules Verne, à cette écriture du récit qui mène ailleurs, à cet objet du livre pour transmettre ce qui fait la portée universelle d’une mémoire nourrie de multiplicités d’existences et de témoignages dûment perçus et retenus.

Avant que l’onde d’Internet n’enserre notre monde dans son faisceau fascinant, l’onde océane parcourt le monde depuis la nuit des temps, offrant sur chaque rivage autant de déferlements que d’émerveillements.  Et avant que la Go Pro ne synthétise la vague dans la sublimation d’une vision nous laissant sans voix, mais nous détrônant peu à peu de notre imagination, il y en avait qui arrivaient sur une plage, partout dans le monde, et se mettaient à écrire ce qu’ils voyaient, ce qu’ils vivaient. Ils étaient navigateurs, explorateurs, baroudeurs, missionnaires, écrivains, anthropologues, voyageurs… et par leurs mots, ils décrivaient, en détail, en longueur, en saveur, les vagues qu’ils avaient sous les yeux et les hommes, les indigènes qui les affrontaient, qui s’y glissaient. Autant de récits qui forçaient l’imagination du lecteur, parfois aidée par l’illustration qu’un dessinateur employé par l’éditeur avait pu faire du récit ramené. Et dans tous ces récits, quelle richesse d’histoires, de territoires, de pratiques, de styles… garantissant aux mots la mémoire d’une lecture aussi éclatante qu’éclatée.

Terre des vagues, livre de 928 pages parcourant cinq océans, sept continents, 36 îles ou archipels, 50 pays, avec 400 extraits de texte d’auteurs différents, doublés de 250 illustrations, de toute époque, traitant spécifiquement des vagues et des hommes s’y attelant, oui ce livre est un fantastique et incroyable surftrip où, en plus, le lecteur se déplace à la carte, piochant, happant le récit, la destination qui l’attire quel que soit le numéro de la page. Mais derrière ces  James Cook, Jacques Arago, Mark Twain, Guy de La Rigaudie, Pierre Bataillon, Auguste Marceau, La Pérouse, Chateaubriand, Daniel Defoe, Blaise Cendras, Albert Camus, Jean Rouch, Pierre Loti, Alain Gerbault, Emile Souvestre, Marie Darrieussecq, Charles Léclancher… rassemblés en une même terre de papier relié et de vagues narrées, il y a un surfer, lui-même voyageur, navigateur et porté par la plume aussi, Hervé Manificat, qui n’est autre que notre collaborateur à Surfer’s Journal (France) et dont justement la collaboration a été le point de départ d’un tel voyage, d’un tel ouvrage. Yes, on n’est pas peu fier !

«Oui, explique Hervé Manificat, c’est après la publication de mon premier article sur les récits d’explorateurs français ayant été à Hawaii (SJ °95) que j’ai continué à tirer sur le fil de cette recherche passionnante, du coup au-delà d’Hawaii et du Pacifique, mais avec toujours l’idée de textes témoignant de la vague et de la pratique autour, pêche, surf, glisse.» Hervé est un surfer de longue date sur Anglet où il était lycéen, et maintenant il vit de l’autre côté de l’Adour, sur Tarnos, pas loin des bancs de sable. Attiré par les voyages et les océans, il a lui-même goûté à nombre de contrées de tous les continents, pour son travail comme pour surfer. Sa passion pour les récits qu’il a pu assouvir vraiment à partir de 2012 en étant moins affecté par sa fonction professionnelle, il la doit aussi à son lignage familial où marins, explorateurs, anthropologues… se suivent en nombre, développant un «gène» de la curiosité que le surfer a décidé d’attribuer à la vague et à toutes les cultures explorées associées. De son enfance où les murs des maisons étaient bardés de livres, d’objets de voyages et autres masques ethniques ramenés et collectionnés par les aïeuls, il a gardé le goût de l’insolite, la saveur de l’exotisme, le tout enveloppé de cette musique doucereuse du passé que le style d’écriture, propres aux récits détaillés qu’il déniche notamment du 18ème et 19ème siècles, illustre à souhait.

«Pour faire ce travail, précise Manificat, il faut déjà avoir un fonds de livres, et entre la bibliothèque que je me suis constitué et celles de famille, j’ai de quoi m’appuyer. Maintenant il ne faut pas le nier, un outil comme Google Book à partir du moment où on sait comment cherche, donne accès à des textes incroyables. Et beaucoup de ces livres d’explorateurs sont eux-mêmes bien indéxés, ce qui facilite la recherche de passages précis, en l’occurrence ici autour des vagues.  Mais une recherche, c’est aussi la saveur du papier et je vais aussi souvent dans les bibliothèques municipales.» Une saveur qui a poussé Hervé à vouloir d’abord faire un livre et non un site web. En la personne de Jean Le Gall de la maison d’édition Atlantica, il a trouvé un vrai partenaire du projet, celui-ci n’hésitant pas à investir pour les frais d’auteurs cités, tous les textes n’étant pas libres de droit. Avec une couverture habilement designée dans un style d’époque par un autre collectionneur féru de surf et de vagues, Gérard Decoster, le livre Terres des vagues remplit sa mission d’une triple approche des textes trouvés et présentés. «Si les textes sont distribués par territoire dans le livre, trois axes les définissent : anthropologique traitant des peuples “glisseurs”, scientifique autour de la vague proprement dite, et littéraire, cela allant de la prière d’un pêcheur des Samoa au poème de Victor Hugo.»

Voilà donc un ouvrage pour renouer, à l’heure d’Instagram, avec les mots et les images qui font la richesse du passé et l’étonnante diversité de vagues, de glisseurs ayant éclos dans le monde. Le lecteur de Surfer’s Journal y trouvera facilement son plaisir, d’autant qu’il aura là une multitude de courts extraits pouvant aussi capter l’attention de sa progéniture surfeuse, aujourd’hui peu prompte à lire des livres, mais encore capable de s’intéresser à la filiation des choses et au style des mots, surtout quand il s’agit de voyages et vagues…

— Gibus de Soultrait

(Paru dans Surfer’s Journal  N°114)

Terre des vagues, par Hervé Manificat, 928 pages,
Editions Atlantica, 25 € (voir www.atlantica.fr)