Romain Delahaye, alias Molécule, sur le jet-ski avec son micro et Yann Bénétrix qui le balade entre les vagues de Nazaré ! Photo Golezinoswski/DR SOS

Est-ce l’audace qui fait les rencontres ou la rencontre qui imprime l’audace ? Toujours est-il que des deux côtés de ce qui a fait le projet branque d’aller enregis- trer in situ le spot de Nazaré, on a le sens de l’engagement. Côté musique, Romain Delahaye, alias Molécule, musicien-compositeur est un habitué des situations hors studio pour agréger la texture de ses compositions électroniques. «Je cherche des endroits où la nature est dominante», explique-t-il. Après avoir enregistré les tempêtes de l’Atlantique nord pendant 35 jours (retranscrites dans l’album 60°43’ Nord) et le son du Groenland après cinq semaines sur place (à retrouver dans l‘album –22,7°), c’est Nazaré qui a attiré l’attention du musicien. «J’ai vu des images de cette vague. Ça m’a scotché. Par contre on ne l’entendait pas. Donc je me suis dit, allons essayer de capter les sons qu’elle fait.» Tout simplement ! «C’est important tant de se rendre sur place. Je pourrais créer ma musique à partir de banque son existante. Mais ma composition se base sur les émotions que je ressens lorsque je capte ces sons. Mes EP sont des témoignages que je ramène avec ma sensibilité.» Donc un musicien qui non seulement a besoin du vrai son de l’endroit mais également besoin de vivre l’endroit pour en créer sa musique. Honnêteté et vérité de l’artiste, sauf qu’avec Nazaré, on change de grandeur…

Côté surf, la rencontre avec le musicien se fait via le réalisateur Vincent Kardasik qui connaît bien aussi la vague de Nazaré pour y avoir tourné des séquences de Vague à l’âme, son film autour de Benjamin Sanchis. Avec Kardasik, c’est une petite armada de big wave riders et de pilotes de jet-ski, habitués du spot, qui s’associe au projet.

A l’arrivée deux jours de tournage avec Romain Delahaye qui découvre, assis à l’arrière du jet-ski conduit par Yann Bénétrix (parmi les pionniers de Belharra), qu’il n’est de fait qu’une minuscule molécule face aux murs d’eau qui s’abattent à côté de lui. Ces derniers lui faisaient rêver sa musique, mais d’un seul coup il en a les jambes qui tremblent. Pour Bénétrix, l’enjeu est de taille: ne pas finir en particule d’eau, ce qui pourrait être fatal à notre Molécule, plutôt végétative que sportive au quotidien. Pour autant, en plein vacarme d’ondes océanes, Romain Delahaye lui demande de couper le moteur ! Pureté de l’onde sonore, on ne triche pas avec la création, quelle que soit la situation… Ça le fait, sauf que lorsque le pilote essaie de redémarrer, le moteur obéit toujours à la contemplation ! De quoi rajouter un peu d’aigu dans la sensation d’enregistrement. On imagine les molécules des cœurs des deux gars ! Heureusement la mécanique a ses caprices mais aussi ses délices: la grâce du coup de gaz qui repart et fait passer la vague au raz de la lèvre…

Enregistrer les sons des vagues, les voix des surfeurs dans l’action et toute l’am- biance qui va avec: le musicien va jusqu’au bout de son projet avec sa petite équipe technique, même s’il y laisse un drone et le super micro qui pendait dessous, qu’une vague avale, emportant le tout sous les yeux dépités du pilote et du musicien. Qu’à cela ne tienne, on va scotcher les micros sur les planches des surfeurs. Du bon tape ! Et Othman Choufani, Benjamin Sanchis de passer du statut hédoniste de surfeur au métier de preneur de son. Comme quoi surfer, ça peut être utile parfois…

Pour Vincent Kardasik, cette chasse au son est un puits d’images sans fond, avec toutes les prises de vue possibles, et devient aussi la matière d’un film de surf détourné. Sous couvert de son moléculaire, les caméras du réalisateur mettent le spectateur au cœur de ce chaudron extraordinaire qu’est le spot de Nazaré, avec ses faces gigantesques, ses dompteurs engagés (notamment le portugais Alex Botelho, humble maître du spot et auteur d’un take-off à la rame impressionnant de technique), ses tablées du soir. L’adrénaline d’une petite communauté de passionnés de big surf sous l’éclairage d’un illuminé du son, tout aussi passionné, avec qui, humainement, le courant passe.

Kardasik explique: «Romain Delahaye est un œil extérieur, candide, qui documente ce que l’on fait. Molécule ne connaissait rien du tout au surf. Il est venu sans préparation. D’ailleurs, Julie, mon associée, m’a dit au départ pour me convaincre de nous lancer, “au mieux il sort son EP, au pire il se noie. Dans les deux cas, cela fait une histoire à raconter.”»

Au final Molécule sort son EP, intitulé Nazaré, avec des morceaux de composition mixte, notes océanes et électroniques qui ondulent poreuses et savoureuses, et d’autres plus cathartiques ou mystiques, comme si notre musicien vacciné à Nazaré y expurgeait son expérience fiévreuse. Pour l’artiste, il y a un avant et un après Nazaré. Mais une aventure sonore et musi- cale qui ne fait que commencer puisqu’il se dit prêt à repartir dans les vagues…

En attendant, la projection de Sounds of Surfing, au Grand Rex à Paris, a bel et bien happé le public d’une salle comble, dans cette histoire sonore aux images totalement captivantes. Cris et applaudissements hauts en décibels pour le documentaire de Julie et Vincent Kardasik, pour l’audace des surfeurs et pour le panache du musicien créateur. L’EP Nazaré de Molécule s’écoute désormais sur les plateformes musicales. Le film des Karda- sik est parti pour faire la tournée des salles et des festivals. A bon entendeur, tendez l’oreille…

Manon Meyer-Hilfiger & Gibus de Soultrait

Paru dans Surfer’s Journal 137