Le surf est désormais inscrit aux Jeux Olympiques avec des médailles qui seront attribuées en 2020 à Tokyo. Dans la foulée, Paris devient la ville des JO de 2024 et entre Biarritz, Capbreton-Hossegor-Seignosse, Lacanau-Bordeaux et le surfpark Wave In City en projet à Paris, les dossiers de candidature pour obtenir l’épreuve olympique du surf en France sont sur les starting-blocks. Ces faits marquent une reconnaissance du surf dans la grande scène sportive et sont le fruit de surfeurs qui se sont battus, à leur plus grand mérite, pour un tel succès. Pour autant la question du bien fondé du surf aux JO est sur nombre de lèvres, et les pour et les contre ont vite fait de polémiquer. Le débat peut paraître vain à partir du moment où l’affaire est conclue. De même, le surf en soi n’appartient à personne et son évolution est à l’image de la diversité de celle de notre société actuelle où
cahin-caha chaque domaine d’activité avance dans la complexité de son contexte, de ses contradictions ou de son ambivalence… Advienne ce qu’il en adviendra.
Pour autant un regard sur la question vaut le détour, le surf et l’olympisme étant, l’un comme l’autre, riches d’histoire, de culture et d’émotions.
Au temps des anciens Hawaïens, le he’e’nalu n’était pas qu’un loisir quotidien. Il était aussi l’objet de concours importants officiels. Le vainqueur pouvait se voir monter en rang dans la communauté. Dans une société où l’ascension sociale dépendait plus de circonstances valorisant un individu sur le devant de la scène que d’un lignage établi, de tels concours faisaient office de reconnaissance et de chance pour élever son statut. Le he’e’nalu valorisait un chef en tant qu’il maîtrisait les vagues et en avait la compétence océane, mais aussi par le fait qu’il gagnait devant ses pairs, à l’exemple de ce que peut procurer comme destin la victoire d’une médaille olympique pour un sportif.
Le renaissance du surf au début du 20ème siècle et l’éthique océane dont ce sport s’est attribué au fil de son évolution moderne reposent en bonne partie sur l’élégance et le charisme d’un individu devenu personnage historique par ses médailles olympiques en natation: Duke Kahanamoku.
Si Duke regarde de ses cieux le surf d’aujourd’hui, nul doute qu’il doit un peu halluciner devant les air-360 des pros actuels tout comme des take-off à la rame des gars à Jaws, mais surtout il doit être aux anges de voir le surf devenu discipline olympique. Et comme en 1924 à Paris, avec 100 ans de moins, il aurait été en 2024 à Paris, non pas au départ du 100 mètres nage libre mais pour la finale de surf open…
A ce stade de comparaison, le surf se glisse comme un gant dans l’olympisme, tant dans la construction identitaire qu’apporte le concours sportif que dans la reconnaissance et les valeurs portées par la participation et la victoire individuelle.
Mais existe un autre soubassement essentiel de ce qui fait l’identité, la créativité, l’énergie du surf: la contreculture surf historique des années 1960/70 qui envoie balader toutes les valeurs sportives et celles de reconnaissance et d’ascension sociales au nom d’une liberté d’expériences nouvelles et d’un mode de vie hors système, utopique, tourné vers le voyage et le plaisir. Surf is an art and on the road. Et même si la compétition ne s’effaça pas totalement du paysage d’alors, elle n’avait aucune valeurpremière aux yeux de la communauté, un Lopez par sa seule gestuelle à Pipeline dominant les esprits.
Par ailleurs, ce fut de cette évolution à la marge, éprise de liberté, de tentations, de sensations hors des sentiers battus que jaillirent à cette époque les descendants du surf, ces sports de glisse que sont le skateboard, le snowboard, le windsurf, le bodyboard… Aujourd’hui le surf et le skateboard rejoignent la planche à voile et le snowboard au panthéon olympique. Mais quand on rentre au panthéon, c’est qu’on est mort diront certains. L’olympisme, c’est le sacre de la médaille, mais aussi l’ultime institutionnalisation d’une pratique sportive, et donc le reflet que celle-ci est rentrée dans le rang. De quoi désoler, exaspérer quelques rebelles.
Il ne s’agit pas ici de trancher, mais de se situer. A ces éléments s’ajoute la dynamique actuelle du surf qui, après l’ascension et la domination des marques de surf sur le sport, connaît un renversement d’influence, suite aux revers économiques de celles-ci. D’une histoire de famille avec des marques fondées par des surfeurs et quelque peu aveuglées par leurs succès, le surf est désormais dans son évolution sportive sous l’égide d’acteurs extérieurs au surf. Déjà pour partie les marques de surf sont la propriété de fonds financiers ayant plus vocation à défendre leur part de marché textile qu’à garantir le sport dans son identité. Par ailleurs ce qui fait la vitrine officielle (et lissée) du surf, la WSL organisant le championnat du monde pro, est sous la coupe désormais de managers pros du monde sport et des affaires (Sophie Goldschmidt, présidente, Joe Carr, directeur stratégique), sans passé ou affinité première avec le surf. Et quant au financement de la WSL elle-même (qui a racheté la société de la vague artificielle de Slater), il est soutenu par des capitaux tirant leur rendement ailleurs. Autant dire que le surf n’est plus un sport évoluant à la marge. Quand bien même il reste mineur aux yeux des disciplines remplissant les stades, la dynamique à laquelle il est attelé est rentrée dans la logique des grands sports. Une logique désormais olympique qui est tout autant celle de la beauté de la médaille que celle des enjeux financiers, parfois tortueux, que sont chaque Jeux Olympiques. A se demander donc ce que le surf s’en va faire là dedans. Mais encore une fois, personne ne peut s’arroger la légitimité de son devenir et les faits sont là.
On le sait, le récit olympique est une machine à rêves et une machine à sous. Il sonne aujourd’hui comme une bonne occasion à saisir pour le surf dont le propre récit, entre sa rébellion rentrée dans le cocon, son business à terre, et sa performance sans doute arrivée à maturation (sauf ajout d’artifices comme beaucoup de sports), peine à rebondir, même si la pratique s’étend par mimétisme.
Cela dit, il y a toujours de la marge pour rester à la marge sans que l’olympisme universalise complètement le surf. Une marge dont les ingrédients liés à l’océan, au plaisir, au mode de vie cool, au voyage, à l’écologie… demeurent. Puis tout comme l’olympisme peut toujours se convaincre de faire briller ses valeurs humanistes et de dépassement de soi dans l’égalité des chances à un instant T, le surf peut s’imaginer faire entendre que danser sur les vagues fait danser la vie… A suivre.
—Gibus de Soultrait
Parus dans Surfer’s Journal 122