Sorti en 1969, The Fantastic Plastic Machine va de pair avec la révolution du shortboard et l’élan de liberté d’alors.

Il y a cinquante ans sortait sur les écrans de cinéma californiens, The Fantastic Plastic Machine, film de surf réalisé par Eric et Lowell Blum et produit par la Twenty Century Fox. Un documentaire surf à la Endless Summer, mais sans la gageure de l’inédit du film de 1964, ni celle d’avoir un vrai surfeur hard-core comme Bruce Brown aux commandes et en voix off. Là, pour narrer l’histoire de surfeurs en quête de vagues, celle de l’acteur Jay North, star d’une sérié télé des 60’s, Dennis The Menace. Pour autant le scénario du film n’est pas une histoire à l’eau de rose hollywoodienne. En 1966, lors des championnats monde ayant eu lieu en Californie, l’Australien Nat Young remportait le titre avec une style de surf révolutionnaire, exécutant plein de virages avec une planche plus manœuvrable, là où son adversaire hawaiien (passé en Californie) David Nuuhiwa filait magistralement tout droit sur le nose. Une finale historique qu’on commente encore, étant la marque d’une transition irréversible du surf et des prémices de la révolution du shortboard, entamée l’année suivante par le célèbre trio, Nat Young, le shapeur-surfeur Bob MacTavish et le kneeboardeur George Greenough en pointeur visionnaire de cette révolution avec ses trajectoires virevoltantes et sous le curl, à genou sur sa miniboard, super flex tout en fibre de verre et résine.

En Californie, au début des 60’s, le surf de haut niveau suivait l’institutionnalisation sportive des clubs et de leur rivalité compétitive. Le plus fort et le plus célèbre de ces surf clubs était le Windansea de la Jolla (San Diego). Tous les meilleurs y étaient. Un temple dominant et arrogant du nose et hang-ten, faisant la gloire du surf des 60’s. Aussi la victoire de Nat Young passait mal chez beaucoup de Californiens. Vint l’idée d’une revanche et d’un film pour en raconter l’histoire. Outre les compétitions, la culture surf, après Endless Summer, était aussi celle du voyage, du rêve exotique de la vague ailleurs. Deux en un. En 1967, un groupe de surfeurs du Windansea (Skip Frye, Steve Bigler, Mike Purpus…) firent le voyage de l’Australie pour la revanche contre une équipe d’Australiens, cela conduisant les protagonistes à s’arrêter et surfer aux Fidji et en Nouvelle-Zélande, de quoi faire de belles images et un film de rêve, mettant les producteurs dans l’espoir de faire un jackpot à la Endless Summer. Les remakes ont rarement l’authenticité et sorti donc en 1969, The Fantastic Plastic Machine, ne déplaça pas les foules, ni ne marqua vraiment les esprits par ses images. La dimension du voyage y était mielleuse alors que la jeunesse se radicalisait contre la guerre du Vietnam. Les héros du Windansea se prirent une raclée devant une équipe B d’Australiens ayant intégré le style de Nat Young. Seul intérêt du film, même si était sorti en Australie en 1968, le surf movie Evolutionde Paul Witizig, ode révolutionnaire à l’odyssée du shortboard entamé par le fameux trio, The Fantastic Plastic Machineaffichait en grand écran l’expression de ce nouveau surf, avec notamment des séquences de Nat Young et Bob MacTavish (à voir sur Youtube) d’une portée effectivement fantastique pour l’époque. Nose et hang-ten étaient mis au rencart, tout autant que le Windansea et même la notion de surf club.

Pourquoi alors revenir ici, sur ce film, cinquante plus tard sur ce film. A défaut d’un succès de son contenu, ce documentaire emporta les esprits par son titre. The Fantastic Plastic Machineétait le shortboard, planche plus courte, plus légère, plus maniable dont l’évolution de la forme, de la plasticité, n’allait plus jamais s’arrêter jusqu’à même encore aujourd’hui pour que les surfeurs puissent carver comme voler. Ce titre de film, qui aurait pu être le nom d’un groupe de musique pop d’alors, caractérisait aussi l’élan de liberté enveloppant l’époque et s’exprimant dans cette «plastic machine», dont le commentaire off du film dit à juste titre qu’«elle offre au surfeur, comme jamais auparavant, la pleine expression de sa personnalité.» Une machine qui permettait l’expression individuelle, dans sa liberté, dans sa légèreté, dans sa maniabilité, dans sa variété, c’était aussi tout le rêve de la révolution contre-culturelle, résistante, utopique et émancipatrice (anti-Vietnam et hippie) dont la jeunesse portait le bienheureux flambeau, brisant à jamais le carcan de la société.

Par ailleurs, si prévalaient dans cet élan sociétal des prises de conscience tant écologiques, dénonçant la pollution, que libertaires, invectivant la société de consommation, dans le fatras des valeurs individuelles qui jaillissaient, la plasticité de la créativité n’avait pas de limite, dans quelque domaine que ce soit. Et curieusement (logiquement ?), aussi anti-naturelle qu’elle fût dans sa composition pétro-chimique, la matière plastique fit corps avec cette expression multiforme de la créativité et de la liberté individuelles. Ce qui était fantastique, ce n’était pas que la machine permettant «la plein expression de sa personnalité», mais bel et bien le plastique qui permettait cette machine. Et pas que dans le surf.

On ne se le mémorise pas forcément très bien, mais dans les Trente Glorieuses qui marquèrent le progrès de la société moderne, il y a une concomitance entre l’expansion de la matière plastique et celle de l’expression individuelle. Encore dans les années 1960, cette nouvelle matière n’existe pas dans la consommation courante. La bouteille de lait est consignée, règle collective de consommation. Dans les années 1970, le plastique se répand partout du briquet (puis du rasoir) Bic jetable, à la 2cv Mehari roulant sur la plage, cheveux au vent, en passant par tout le renouveau pop du design n’ayant d’yeux que pour cette matière aux possibilités infinies de forme. Pas un domaine, du surf au mobilier, où le bois ne résiste à cette invasion. Idem pour le verre, le métal. Une vraie jouvence du plastique dont la symbolique, par sa légèreté, sa nouveauté…, colle à la liberté d’expression requise. Une matière plastique dont bien sûr les producteurs économiques du marché vont exploiter, renforcer et insuffler la tendance au point d’en faire une matière de consommation de masse, la liberté de consommer se substituant à la liberté de s’exprimer, chacun étant devenu l’expression, la plasticité de ses produits… Avec un regard d’aujourd’hui, on a comprend la mue, mais on s’en affole avec tout ce qu’est devenu le plastique, sa pollution, sa production inexorable (le surf n’est pas en reste !), son gaspillage.

Au même moment où on se souvient ici, en 2019, de ce film de surf de 1969, par ce titre gardé l’esprit et si emblématique du vécu «fantastique» (ça brisait, ça jaillissait, ça expérimentait de partout) d’alors, on lit également dans la presse une découverte qui aurait dû faire plus que quelques articles, mais bel et bien la une de l’actualité mondiale. Comme un pas de géant en marchant sur la lune, mais en l’occurrence un pas affolant en marchant sur la tête. Analysant des micro-crustacés récupérés entre 2007 et 20018 à plus de 11 000 mètres de fond dans des fosses de l’océan Pacifique, des scientifiques anglais découvrent que plus de 72% de ces spécimens contiennent du micro-plastique (1). Là effectivement on touche le fond ! En cinquante ans, pas un recoin de l’océan n’échappe désormais au plastique, avec tout ce que cela veut dire de notre modèle de production et de société, avec tout ce que cela veut dire et engendre de notre détérioration de l’environnement et de ses ressources naturelles, cela allant de pair avec le réchauffement climatique. Avec une production annuelle de 300 millions tonnes pour nos besoins de liberté de consommation, le plastique finit dans les océans à plus de 10 millions de tonnes par an. Une machine infernale que rien ne semble arrêter…

Voilà qui interpelle sur tout ce plastique dont il va bien falloir se passer (et par des efforts de restriction drastique tant individuels que collectifs) si on ne veut pas en être contaminé, insidieusement, en retour dans tout. Mais voilà aussi qui questionne sur toute cette liberté qu’est devenue notre machine individuelle fantastique, prise au piège de sa plasticité à vouloir créer et consommer le monde à son goût, à son plaisir et découvrant en retour une planète qui s’épuise de tant de fantaisies, tant de facéties productives, tout en rappelant la complexité, la plasticité (la résilience) de son incroyable machine… Ce qui laisse augurer d’autres voies, moins libres de nos choix mais pas moins fantastiques de ses opportunités. En surf, notre planche est une fantastique machine, mais la vague est reine et seule libre à donner le rythme de notre petite musique… A suivre…

Gibus de Soultrait

Paru dans Surfer’s Journal 131

En vert, les micro-plastiques ingérés par une puce d’eau de 3 mm. Par ailleurs, en 50 ans le plastique est arrivé à s’immiscer dans des organismes à plus de 11 000 mètres de fond dans l’océan Pacifique. PHOTO DU DEPARTEMENT DE SCIENCE ENVIRONNEMENTAL UNIVERSITE DE STOCKHOLM